" Chaque année, les Réunionnais sacrifient dans l'indifférence un mois et demie de leur vie aux embouteillages. C'est insupportable ! "

Entretien avec Bruno Fontaine, Président de la FNTV

21 juin 2021
Le dynamique président de la FNTV "Le dynamique président de la FNTV"
La Fédération nationale des transports de voyageurs, par la voix de son président, entend bien se faire entendre par les candidats qui briguent un fauteuil à la Région Réunion. Pour Bruno Fontaine, le temps n'est plus aux " rêves ", mais bien aux actes. Dans une charte adressée à tous les candidats, le chef d'entreprise suggère une politique de mobilité plus raisonnée et responsable de la part de la nouvelle majorité régionale.

Par Lilian Reilhac

  • Depuis bientôt un an et demi le monde subi une crise sanitaire sans précédent. Que peut-on retenir de l’impact de la Covid-19 sur le secteur des transports publics à La Réunion ?

Au cœur même de la pandémie, du premier confinement, l’ensemble des opérateurs de réseaux de transports, les entreprises locales ont vu leurs activités diminuées de 70%. En raison des contraintes sanitaires, moins de bus, moins de fréquentation, donc moins de recettes. Le Covid-19 est venu mettre un coup d’arrêt brutal à la dynamique enregistrée au cours de ces dernières années. A cela il faut ajouter le coût des investissements indispensables, mesures de distanciation, gel hydro alcoolique, masques… que nous avons dû mettre en place pour assurer la sécurité des usagers et de nos salariés. Des mesures qui ne sont plus intemporelles mais bien permanentes vu le contexte sanitaire.

  • On estime à combien les pertes financières des entreprises réunionnaises de transport ?

Les opérateurs de réseaux ont enregistré des pertes de recettes d’environ 8 millions d’euros. A cela s’ajoutent celles des activités occasionnelles telles que sorties de classes, les touristes, les associations de personnes âgées… qui représentent environ 30% des activités des entreprises de transports. Au total ce sont environ 10 millions d’euros de pertes financières pour le secteur des transports de voyageurs.

  • Nous sommes en pleine campagne des élections Régionale et Départementale. Quel est votre sentiment sur ce scrutin qui doit définir l’avenir de La Réunion pour la prochaine décennie ?

Il est clair que ces élections Régionale et Départementale sont déterminantes pour le quotidien des Réunionnaises et des Réunionnais. Et pour cause, à raison de 1h45 par jour, nous consacrons chaque année un mois et demie de notre vie aux embouteillages. C’est devenu insupportable pour la population. On peut se satisfaire que les questions de mobilité ont occupé une place prépondérante dans cette campagne électorale par tous les candidats. La Région Réunion, devenue Autorité organisatrice de mobilité depuis janvier 2017 avec la récupération du réseau interurbain Car Jaune est désormais le chef de fil de l’intermodalité. Pour la FNTV, trois défis s’imposent à la nouvelle majorité qui sortira des urnes des 20 et 27 juin prochains : faciliter la reprise de l’activité après la crise sanitaire, définir des objectifs de mobilité par une politique d’aménagement de voies réservées aux bus, et enfin soutenir les projets de décarbonisation des transports tel que le process hydrogène. Pour atteindre ces objectifs, deux conditions : une politique volontariste en faveur des mobilités et une maîtrise plus pertinente des moyens financiers des collectivités.   

  « Qui paye la gratuité ? »

  • Chaque liste a soumis aux électeurs leur programme pour une meilleure mobilité. En tant que Président de la FNTV et d’une manière générale est-ce que ces projets reflètent les attentes de la population ?

Je comprends que les candidats ne peuvent s’empêcher de mettre en avant des projets qui font rêver la population. Mais aujourd’hui au vu des bouchons qui paralysent notre économie, il nous faut être terre à terre. La Réunion mérite qu’on n’endette plus les communes et qu’on trouve des solutions rapidement. Et ces solutions existent déjà ; il suffit d’améliorer les offres existantes.

  • Tous les candidats proposent un projet ferré pour résoudre les problèmes de déplacements. Est-ce pertinent pour La Réunion ?

Tous les projets se valent mais, je répète, il y a aujourd’hui urgence à solutionner le coma circulatoire. La population réunionnaise ne peut plus attendre 20 ans pour voir un tram-train qui va engloutir au passage des milliards que nous n’avons pas. Soyons réalistes et prenons des décisions pragmatiques. Les modes alternatifs de mobilité existent déjà ; le vélo électrique, revoir le covoiturage, les bus à haut niveau de service avec leurs voies dédiées et les fréquences de passage revues. Sachez que deux tiers des déplacements se font en voiture et sur des distances courtes. Donc n’allons pas chercher midi à quatorze heures !

  • La gratuité des transports est une bonne initiative ?

En théorie la gratuité des transports publics permet une augmentation de la fréquentation. Mais la gratuité n’est pas une recette miracle pour autant. Car le principal problème c’est son financement. Il faut bien que quelqu’un le paye. La FNTV n’est pas opposée à une telle décision politique, mais il faut au préalable s’assurer de pouvoir faire face à l’augmentation de la fréquentation des réseaux de bus par une augmentation de l’offre de transport. Et cela a un coût. Comment y faire face ? D’autant, si la gratuité se fait sur le réseau interurbain, Car Jaune, mécaniquement il faudra également compenser les conséquences financières sur les réseaux urbains. Car, celui qui effectue le voyage entre Saint-Pierre et Saint-Louis actuellement sur le réseau Alternéo, demain avec la gratuité il abandonnera Alternéo pour le réseau Car Jaune gratuit ! C’est exactement le système des vases communiquant.

  • Craignez-vous que les moyens ne soient pas au rendez-vous pour développer davantage les transports publics ? 

Ce n’est pas une question de moyens mais de choix stratégiques. Nous avons pleins de solutions qui s’offrent à nous aujourd’hui. Les experts indépendants de la mobilité sont unanimes à nous dire qu’il faut revoir l’offre des transports en commun en faisant des investissements pas si lourds comme les voies dédiées et augmenter la fréquence de passage. Si on prenait que ces deux décisions, la vie des Réunionnais se verrait nettement améliorée. Quant aux projets ferroviaires qui font rêver, il ne faut pas oublier les erreurs du passé et y aller doucement car ceux-ci vont alourdir les dettes des communes. A titre d’exemple, le coût de l’implantation du bus à haut niveau de service est plus du quart de celui du projet RunRail : € 7,5 millions/km pour le BHNS contre € 30 millions d’euros/km pour le RunRail. Ajouté à cela, la mise en œuvre des projets ferroviaires sera longue.

 « Il faut une vision partagée de la mobilité entre élus et professionnels »

  • Pouvez-vous décrire la vision de votre organisation syndicale d’une mobilité capable de répondre aux attentes des Réunionnais ?

La vision de la FNTV est simple ; au vu du coma circulatoire qui a trop duré à La Réunion, il nous faut agir vite et prioriser les solutions qui allient pragmatisme et mise en œuvre. Il faut prendre en compte les coûts faramineux de certains projets, même s’ils tiennent la route, et leur mise en œuvre. On ne peut plus attendre ; solutionnons au plus vite en améliorant l’attractivité de l’offre des transports en commun.

  • Souhaitez-vous un meilleur partage de la politique des déplacements entre les collectivités et les professionnels ?  

Nous vivons tous dans un système organisé, où les compétences des uns et des autres sont clairement définies. Mais aujourd’hui, dans cette quête commune d’efficacité, nous pensons à la FNTV que élus et professionnels autour d’une table pour, de façon partagé, travailler à améliorer la mobilité des Réunionnais serait pertinent. Aux élus la décision et la responsabilité avec le sentiment d’avoir été compris par les professionnels.

  • L’Europe mise beaucoup sur l’hydrogène pour préparer la transition énergétique. La Réunion doit-elle profiter de cette innovation ? et comment ?

Bien sûr. Ceci est au stade d’expérimentation et il est de notre devoir d’explorer toutes les solutions de transport à faible émission de carbone afin de protéger et préserver le sanctuaire écologique qu’est notre Ile Intense.

  • Comment voyez-vous la mobilité de demain à La Réunion ?

La mobilité de demain se doit d’être multimodale. Il y a des solutions simples et pragmatiques qui s’offrent déjà à La Réunion et qui ne nécessitent pas d’investissements lourds et qui peuvent être mises en opération rapidement. Je pense au vélo, aux pistes cyclables, aux voies dédiées aux bus à haut niveau de service, à une plus grande fréquence de passages des bus et à leurs amplitudes horaires étendues.

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