Les Etats Généraux des Mobilités un rendez vous essentiel "

Interview d'Abdul Cadjee, l'homme aux 60 000 véhicules

10 mai 2023
""On aurait pas dû abandonner le train""
Ancien concessionnaire de plusieurs marques automobiles à La Réunion entre 1980 et 2002, Addul Cadjee accorde rarement des entretiens aux journalistes. A l'occasion de ces Etats Généraux des Mobilités il a bien voulu exceptionnellement se confier à Mobil'Idées. Pour l'homme aux 60 000 voitures, le tout automobile atteint ses limites, " le temps est venu de limiter ses déplacements et de se déplacer autrement, en bus, en vélo ou encore en taxi ".
  • Cela vous surprend qu’aujourd’hui encore, les Réunionnais continuent à dire « j’ai acheté ma voiture chez Cadjee » alors que depuis plus de vingt ans vous ne vendez plus de voitures ?
  • (Rire) Cela fait plaisir. Cela veut dire que la communication et la relation que moi-même et mes commerciaux entretenaient avec la clientèle sont restées dans les mémoires. Je me souviens que les gens étaient fiers d’avoir sur la lunette arrière de leur voiture les slogans : « Je sors de chez Cadjee », ou encore « Louez moi chez Cadjee ». Moi-même, j’avais insisté pour que mon bureau soit vitrée et ouverte à tous et permettre ainsi une relation directe avec la clientèle. Dans le showroom, tous les clients avaient droit aux mêmes attentions. Il n’y avait pas de petit client ou de client important. C’était un client ! J’ai toujours été exigeant avec mes commerciaux en leur expliquant que lorsqu’un client achète une voiture, c’est souvent un sacrifice, il doit faire un prêt et s’engager sur de longs mois sur un crédit bancaire. A ce titre, nous lui devons beaucoup de considérations.
    • Vous avez une idée du nombre de voitures que vous avez vendu entre 1980 et 2002 lorsque vous avez cédé vos concessions au Groupe Hayot ?
  • A l’époque, nous avions 13 à 14% du marché automobile de La Réunion. On livrait environ 15 véhicules par jour. Si on fait un rapide calcul cela fait un peu plus de 60 000 véhicules livrés en 22 ans. On vendait toute une gamme allant de la moto Suzuki à la Ferrari, Mercedes, en passant par Mitsubishi, Opel ou encore Audi. Des marques qui ont toujours fait rêver les Réunionnais. 
  • Il n’y a pas que les voitures que vous avez fait rêver. Il y a eu l’opération avec le seul avion supersonique Concorde, puis Zinedine Zidane, Jean-Pierre Papin à la Saint-Pierroise ?
  • Comme tout le monde le sait, j’ai toujours été un passionné de football. Dans les années 1990, pour voir ces stars du football il fallait prendre un billet d’avion pour les voir dans les grands clubs en métropole. Le Groupe Cadjee était en pleine expansion et donc j’ai voulu que les Réunionnais voient sur leur terre un champion du monde et ballon d’or comme Zidane ou encore un Jean-Pierre Papin, champion d’Europe des clubs avec l’Olympique de Marseille sur la pelouse de la Saint-Pierroise. Aujourd’hui c’est totalement différent. Les chaînes de télévision offrent tellement de réalisme lors des diffusions des matchs, qu’on a l’impression d’être dans le stade. 

 

« Passer 3 à 4h pour aller travailler, c’est insupportable »

 

  • Comme tout le monde, vous vivez les difficultés de déplacements sur toute l’île. Quel est le sentiment de celui qui a contribué au développement du tout automobile ?
  • Je ne me sens pas co-coupable de la situation actuelle du coma circulatoire à La Réunion. Les premiers coupables sont ceux qui en 1963 puis en 1976 ont supprimé définitivement le chemin de fer pour l’automobile. Je n’avais que 16 ans. On aurait pu maintenir et moderniser ce chemin de fer, tout en développant le réseau routier. En condamnant le ferroviaire, on a aussi condamné les Réunionnais à se déplacer en voiture. Lorsque j’arrive sur le marché automobile en 1980, le mal est déjà fait. Pire, les élus qui se sont succédés ont encouragé cet état de fait en négligeant les transports en commun. Faute d’alternative, les Réunionnais n’avaient pas d’autre choix que d’acheter une voiture pour aller travailler. Comme les autres concessionnaires automobiles de l’île, je n’ai fait que répondre à cette demande des Réunionnais de pouvoir se déplacer, c’est la loi de marché : une demande, une offre.
  • Il y a eu des projets de transports ferrés, le plus récent et sans doute le plus avancé c’était le tram train. Il a été abandonné…
  • Là aussi, je vais être critique. C’est une absence de vision des politiques qui, bien souvent, privilégient leur intérêt au détriment de l’intérêt général. Pourtant aujourd’hui, la situation est critique. Les gens passent 3, 4 h par jour pour uniquement aller travailler. C’est insupportable pour les familles !
  • Parmi les projets de transports en commun, le téléphérique de Saint-Denis a quand même vu le jour et c’est plutôt une réussite ?
  • Le Papang est une belle illustration que lorsque les décideurs sont motivés, le résultat est assuré. Mais nous sommes encore en retard. Le Papang aurait dû accélérer les autres projets de téléphérique dans l’île, à Saint-Paul, entre Saint-Pierre et Le Tampon.
  • Il y a quand même la question budgétaire ?
  • Vous connaissez le dicton ? quand on veut, on peut !  Les Mauriciens ont pu obtenir leur tramway, alors qu’ils n’ont pas plus de moyens que nous. La Réunion fait partie intégrante de l’Europe. Je refuse de croire que les Réunionnais sont moins capables. 
  • La Région vient de lancer une grande consultation auprès des Réunionnais, baptisée les Etats Généraux des Mobilités, ça vous inspire quoi ?
  • Au cours de ces dernières années on a sollicité l’avis des Réunionnais sur plusieurs projets de mobilités. Qu’en est-il sorti de ces consultations ? Rien, sinon le téléphérique du Chaudron. J’ai bien compris les arguments de la présidente Huguette Bello, à savoir on demande aux Réunionnais c’est quoi leur usage de déplacements et comment ils voient l’avenir des mobilités pour ces prochaines décennies. Ce qui donne une certaine originalité à cette concertation. Je pense que ces Etats Généraux des Mobilités est un grand rendez vous que les Réunionnais ne doivent pas manquer. On leur donne l’occasion d’exprimer leurs besoins de mobilités et par conséquent, nous avons tous notre destin en mains. L’essentiel c’est qu’au terme de ces Etats Généraux, Les collectivités respectent les voeux de la population et qu’un véritable programme des mobilités soit défini et réalisable techniquement et financièrement. Sur ce point, La Réunion ne pourra, seule, tout faire. L’Etat et l’Europe devront nous accompagner, comme ils l’ont toujours fait sur d’autres projets.
  • Vous participerez à ces Etats Généraux des Mobilités ?
  • Bien sûr, avec mes proches.  

Propos recueillis par Lilian REILHAC   

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