Louis Carpaye : " Arrêtez de faire rêver les Réunionnais sur des projets ferrés "

Porte parole du Gie Cap Run en charge du réseau interurbain Car Jaune

30 juin 2020
Il est l'héritier de générations de transporteurs "Il est l'héritier de générations de transporteurs"
Le grand public l'a découvert le 4 juin par son franc parler lors de la colère des Car Jaune. Louis Carpaye assume à lui seul trois générations d'une famille de transporteurs de voyageurs dans l'Est. Véritable force de la nature dans la profession, il ne mâche pas ses mots sur les politiques de déplacements et des transports pratiquées à La Réunion.

Propos recueillis par Lilian Reilhac

- Depuis l’opération « Aret Roul a nou » du 4 juin dernier du réseau Car Jaune comment se passent les relations avec La Région ?

Lors de notre rencontre, le Président de Région a publiquement mis en cause ses services et l’élue en charge du transport en mettant en place un Comité de suivi de la DSP Car Jaune. Depuis nous nous sommes de nouveau rencontrés et c’est lui en personne qui préside ce Comité de suivi. Ce qui est rassurant pour le Gie Cap Run, en charge de l’exploitation du réseau interurbain. Ce véritable dialogue de respect instauré par Didier Robert nous laisse à penser que désormais, les choses devraient s’améliorer. Je pense que le Président de Région a pris conscience que, dans une situation aussi critique, les entreprises de transport de voyageurs doivent bénéficier des mêmes attentions que la collectivité consacre à Air Austral. D’autant que la compagnie aérienne régionale transporte chaque jour environ 600 voyageurs, alors que l’ensemble des réseaux de transports de l’île transportent 160 000 voyageurs quotidiennement. Nous allons donc laisser le temps au temps.

- Le 15 mai, le gouvernement a annoncé une enveloppe de 50 millions d’euros d’aides d’urgence pour le transport de voyageurs, ainsi que l’inclusion du secteur des cars et bus touristiques dans le « plan tourisme ». Est-ce que les transporteurs de La Réunion y ont droit ?

Accompagné du Président de la Chambre de commerce, nous avons rencontré le Secrétaire général pour les affaires régionales à la préfecture ainsi que la Dieccte (Direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) sur cette question. Ils n’étaient pas au courant de ce dispositif, mais on nous a laissé entendre « qu’à première vue » on ne répondrait pas aux critères. Or, comme l’a souligné Bruno Fontaine, le Président de la FNTV locale, les activités de nos entreprises ne se résument pas uniquement à l’exploitation de lignes régulières des réseaux urbains et interurbains, ou encore aux transports scolaires, mais aussi à l’activité touristique. Nous transportons des touristes locaux, affinitaires, pour leurs sorties diverses de pleine nature. Il est tout à fait normal qu’à ce titre nous aussi nous puissions bénéficier de ces aides publiques de l’Etat. 

« Air Austral transporte 600 voyageurs par jour et les entreprises de transports plus de 160 000 Réunionnais, nous avons droit aux mêmes considérations » 

- Au lendemain de la vague verte des récentes municipales, le Président Emmanuel Macron a reçu la Convention citoyenne pour le climat. Sur les 15 milliards d’euros supplémentaires annoncés sur deux ans qui seront injectés pour la Conversion écologique, une grande partie sera consacrée aux transports propres. Qu’en pensez-vous ?

Cela ne peut faire que du bien. Mais quelle sera la part pour La Réunion dans cette mesure ambitieuse ?  On sait que l’Allemagne et la France sont en passe d’obtenir des états membres de l’Union européenne un plan de relance de 500 milliards d’euros. J’espère que les Régions ultrapériphériques, comme La Réunion pourront en bénéficier afin de relancer l’activité des entreprises et donc l’économie. Notamment dans le domaine des transports, où nous accusons des retards considérables en matière d’infrastructures. Cela fait des décennies que nous professionnels de transports de voyageurs, nous réclamons des voies dédiées aux bus. Ce qui permettrait de gagner en vitesse commerciale et donc en fréquences de passage. A titre d’exemple, nos anciens avaient battu du poing sur la table pour convaincre les politiques et les pouvoirs publics de la nécessité de réaliser une voie rapide bus entre Sainte-Suzanne et Saint-Denis. Il a fallu vingt cinq ans pour que celle-ci voie le jour. Le résultat est là, le réseau Car Jaune et le réseau urbain Citalis gagnent en vitesse et les usagers gagnent du temps et c’est du stress en moins. 

- Autrement dit, il y a un décalage entre la vision du professionnel et celle du politique ?

Ce décalage s’explique sur le fait que n’utilisant pas les transports publics, les techniciens des collectivités et les élus ne vivent pas nécessairement le quotidien des usagers et des professionnels. On ne leur demande pas de prendre le bus tous les jours, mais même si ce n’est pas leur place, une fois de temps en temps ils devraient utiliser les réseaux de transports de l’île. C’est ce que font leurs homologues de métropole ou des pays du Nord de l’Europe. La tendance c’est d’être au plus près de la population. D’ailleurs, que peut on retenir des résultats de ces élections municipales sinon que les gens veulent que les politiques vivent leurs difficultés quotidiennes. 

« On devrait profiter davantage de l’expertise de Transdev »

- Peut-être que vous, entreprises de transports de voyageurs, vous ne savez pas comment vous y prendre avec les collectivités ?

Sans doute ! Je reconnais qu’au sein même de la profession nous devons certainement mieux communiquer. Le 4 juin c’était la première fois que tous les acteurs du transport de voyageurs s’étaient mobilisés ainsi. Ce jour là il s’est passé quelque chose, nous avons démontré par notre mobilisation « la force d’être ensemble », le slogan du Gie Cap Run. Aujourd’hui, avec du recul je peux vous dire que plus rien ne sera comme avant. Avec l’appui de la FNTV nous serons désormais une force de proposition auprès des autorités organisatrices de mobilité. A ce titre, nous devrions tirer des leçons de notre passé. Ainsi, vous savez Transdev est à nos côtés depuis bientôt 25 ans. Pour tout vous dire, à l’époque Transdev aurait bien pu s’installer à La Réunion avec ses propres moyens, et nous entreprises locales on se seraient contentées des miettes. Les dirigeants ont plutôt opté pour le « faire ensemble », belle illustration du « vivre ensemble » réunionnais. C’est ainsi que nous avons bâti un modèle économique unique en France :  Transdev apporte son savoir faire et les innovations et nous nos spécificités, notre connaissance du terrain et cela fonctionne. Je dirai même qu’on devrait, aussi bien nous que les collectivités profiter davantage de l’expertise de ce géant mondial du transport de voyageurs.  

- Vous voulez donc participer aux orientations des mobilités et des grands projets des collectivités ?

La Réunion a perdu beaucoup trop de temps. Aujourd’hui, il n’y a pas de connexions entre les réseaux urbains et l’interurbain. A Saint-Denis, la gare Car Jaune se trouve à 800 m de celle de Citalis. A Saint-Pierre, la gare d’Alternéo est au cœur de la ville et celle de Car Jaune à l’autre bout, à la Zac Bank. Comment voulez vous que cela puisse fonctionner? A cela s’ajoutent la multiplicité de structures et d’organismes de transports.

« Le SMTR est devenu un rond de coqs »

- Vous voulez parler du SMTR ?

Voilà un organisme dont la vocation était la coordination des réseaux afin d’avoir une meilleure visibilité en termes de billettique, d’horaires et de fréquences des bus. Aujourd’hui cette structure qui regroupe toutes les autorités organisatrices de mobilités est devenue un véritable rond de coqs entre les élus pour obtenir la présidence. Résultat, sa raison d’être pose question puisque tous les réseaux de transports possèdent désormais leur propre outil de billettique et d’informations voyageurs. Cet organisme a bien effectué des études sur le comportement des Réunionnais pour leurs déplacements. Un document très riche en enseignement sur lequel les autorités organisatrices de transports auraient pu bâtir une vison, un document cadre pour développer et faire évoluer le comportement des Réunionnais. Et il y aurait de quoi faire. On peut citer l’exemple du vélo qui avec les nouvelles technologies d’assistance électrique est en train de révolutionner silencieusement son usage pour les déplacements domicile-travail. Moi même, j’ai investi dans un VAE (vélo à assistance électrique) que j’utilise autant que possible pour mes déplacements. Dans le Sud à la Semittel, le réseau Alternéo croule sous la demande de location de VAE. A cela s’ajoutent d’autres initiatives privées. Cela veut bien dire que les Réunionnais commencent à prendre conscience que d’autres alternatives à la voiture existent. Ce constat devrait pousser les collectivités à réaliser de plus en plus de véritables pistes cyclables pour relier une ville à une autre mais aussi à l’intérieur et autour des villes.

« Avec des voies bus et vélos, nous pouvons être un exemple »

- Il y a quand même une stratégie régionale de transport pour La Réunion avec le SRIT (Schéma régional des infrastructures et des transports) ?

Il est où ce document ? Qu’en est-il ? Malheureusement, c’est un document réservé aux politiques et techniciens des collectivités. On avait vendu aux Réunionnais le Trans Eco Express, puis le Run Rail pour lequel on consacre des dizaines de millions d’euros en études. Des financements qui auraient pu être destinés à la construction de quelques dizaines de kilomètres de voies bus. Je pense que le défi des prochaines élections régionales c’est l’élaboration, avec les professionnels et les usagers, d’un véritable Schéma régional de transport qui intègre tous les modes de transports : bus, vélo, trottinette, co-voiturage, à pied. Un document accessible à tous, avec des objectifs et un calendrier clairs et surtout des séquences d’évaluation de la politique des déplacements à La Réunion. Il faut que nous soyons pragmatiques. La Réunion a loupé le rendez vous du rail. On ne va pas revenir sur le pourquoi et le comment. Il faut trouver une alternative pas chère, efficace et rapide. Dans ce contexte économique et social difficile nous aurons du mal à maîtriser à la fois du foncier et des financements pour le mode ferré. Nous transporteurs nous avons toujours préconisé le développement des bus et autocars avec des voies dédiées. Ces infrastructures sont faciles à réaliser et nécessitent peu de foncier. On pourrait y injecter suffisamment de nouveaux véhicules propres types BHNS (Bus à haut niveau de service) de nouvelle génération à hydrogène. Des cars confortables permettant le transport de vélos, très demandé actuellement. Des investissements qui entrent dans les critères du plan de relance européen qu’on évoquait précédemment et qui permettraient de donner de l’activité et du travail au secteur du Btp. Il faut arrêter de faire rêver les Réunionnais sur des projets ferrés complexes. Prenons l’exemple de l’île Maurice, où le gouvernement mauricien vient d’injecter plus de 60 millions de roupies supplémentaires dans leur tramway qui en six mois n’a transporté qu’un million de voyageurs alors qu’ici le réseau Car Jaune transporte à lui seul plus de six millions par an. Pour les Mauriciens, ce tramway est devenu un véritable boulet pour le gouvernement. Bien sûr en terme d’image pour le territoire, un tramway c’est moderne, c’est bien, mais certainement pas pour le quotidien de la population. Il faut plutôt privilégier un modèle réunionnais avec des voies bus et vélos performants permettant des fréquences de passage plus adaptées à la demande. Je suis convaincu que nous pouvons être un exemple.

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