" On ne veut plus de Car Jaune qui traverse Saint-Denis "

Interview de Gérard FRANÇOISE, Président de la SODIPARC

10 mars 2023
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A la présidence de la Sodiparc depuis trois ans, Gérard Françoise a entrepris à insuffler une nouvelle culture d'entreprise à la Sem en charge de l'exploitation du réseau urbain Citalis. Le succès du transport par le câble est pour lui, l'illustration que seul le gain de temps pourrait inciter les Réunionnais à faire évoluer leur mode de déplacement. Gérard Françoise fonde beaucoup d'espoirs sur les prochains Etats généraux des Mobilités.
  • Il y a un an que le Papang a pris son envol. Tout le monde s’accorde à dire que c’est une réussite…
  • Plus d’1,4 million de voyages. On prévoyait 6000 voyageurs / jour, nous en comptabilisons 7000. Difficile de ne pas être satisfait. C’est l’illustration que ce mode de transport a été accepté par la population. Un chiffre qui illustre aussi la popularité du téléphérique, 72% des usagers sont des abonnés. Cela veut dire que l’effet « manège » des premières semaines a laissé place à une véritable appropriation par les usagers des transports publics. 
  • Ces 72% d’abonnés sont des usagers du réseau Citalis ?
  • 7 usagers du téléphérique sur 10 ont souscris un abonnement. En clair, ce ne sont pas des voyageurs occasionnels mais bien des voyageurs réguliers qui ont compris que ce nouveau TCSP (Transport en commun en site propre) leur permet de gagner du temps. Ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas de nos lignes de bus. C’est donc la régularité de ce mode de déplacement, à la fois performant et confortable qui sont appréciés. Aujourd’hui les responsables des établissements scolaires desservis par le téléphérique nous disent que les élèves arrivent à l’heure. Avec une cabine toutes les 34 secondes, et 14 minutes pour effectuer un déplacement entre Bois de Nèfles et le Chaudron, il n’y a plus de difficultés de trafic. Alors qu’avec les bus souvent bondés, nous sommes tributaires des embouteillages.
  • Avez vous enregistré de nouveaux clients ?
  • Tout à fait ! Deux phénomènes très simples : d’abord le marché forain du Chaudron fréquenté par des gens qui venaient en voiture et qui avaient du mal à trouver une place de parking. Aujourd’hui, nous avons constaté que beaucoup de ces personnes empruntent le Papang avec leur caddie pour faire leurs courses. Le téléphérique les dépose au coeur même du marché. Elles gagnent du temps. Ensuite, nous avons constaté un second pic de fréquentation le dimanche après-midi où cette tradition réunionnaise de « alon bat in karé » a de nouveau fait son apparition. Après un bon repas en famille, « on fé un tour dan téléférik ». Ce qui explique ce pic les dimanches après-midi.

 

« Il est évident qu’il y aura plusieurs téléphériques à La Réunion »

 

  • Qu’est-ce que cela a changé en terme d’aménagement le long de la ligne du transport par câble ?
  • Ce Papang a réveillé l’esprit d’entreprendre et on sent apparaître un certain dynamisme, notamment au Moufia où des projets de commerces sont en cours avec la mairie de Saint-Denis. Ainsi sur le quartier du Moufia tout un écosystème est entrain d’être redessiner avec notamment l’implantation d’une grande surface et des services à la personne, sur le Bancoul sera créé un marché du terroir. 
  • Du coup, fort de cette réussite, le deuxième téléphérique de Saint-Denis, celui de La Montagne, il est toujours d’actualité ?
  • C’est bien de préciser le deuxième et non le second, car il y en aura d’autres sur l’île. Celui de La Montagne, il se fera. Mais il démarrera d’où? et arrivera où? c’est toujours en discussion. Madame la maire souhaite que ce téléphérique démarre du Bas de la Rivière avec un terminus plutôt à Saint-Bernard que la Vigie. Je partage son analyse. Aujourd’hui, le quartier de Saint-Bernard est très urbanisé, c’est un lieu de vie dionysien important. Et puis il faut intégrer le futur téléphérique de La Montagne avec le projet Baobab, le transport guidé de la Cinor. Dans tout projet de transport en commun, nous devons avoir comme unique objectif, la réduction du temps de trajet. C’est cela qui fera que les automobilistes qui passent des heures dans les embouteillages optent pour le transport en commun pour leurs déplacements quotidiens, notamment les domicile / travail. A ce titre, nous collectivités, nous devons passer à la vitesse supérieure dans la réalisation de voies dédiées aux bus, afin de gagner en vitesse commerciale. D’importants investissements ont été lancés depuis ces dernières années dans les quatre micros régions, mais c’est loin d’être suffisant. 
  • Il reste encore du foncier au Bas de La Rivière ?
  • Aujourd’hui le RSMA a pratiquement délocalisé ses activités et du coup ses locaux au niveau de la Caserne Lambert sont sous utilisés. Depuis 1988, l’Etat major parle de déménager le RSMA, le moment est venu de l’accélérer, dans la mesure où la municipalité de Saint-Denis doit offrir à sa population des équipements indispensables pour améliorer la mobilités des personnes. C’est, à mon avis, le seul site où nous pouvons à l’entrée Ouest du chef lieu organiser les transports modales, avec le réseau interurbain Car Jaune, le transport Baobab, le futur téléphérique et un parking relais pour les automobilistes qui arrivent de la route du littoral. Ce qui nous éviterait l’engorgement actuel du centre-ville, puisque 15% seulement des automobilistes de l’Ouest transitent sur Saint-Denis, 85% se dirigent dans le centre-ville. Il ne faut pas renouveler ce qui a été fait par l’ancienne majorité régionale avec le pôle d’échanges de Duparc. Personne ne sait ou c’est, les usagers des réseaux Citalis et Car Jaune préfèrent descendre de l’autre côté de la quatre voies pour se rendre dans le complexe commercial situé côté montagne. C’est un gâchis. Tout cela pour dire qu’il ne faut pas faire n’importe quoi.

 

« La gratuité des transports publics a un prix »

 

  • Et la gare routière de Saint-Denis qui devait être provisoire et qui dure depuis 20 ans ?
  • Ça c’est aussi une honte ! Avec la mairie de Saint-Denis nous y travaillons. Personnellement, je pense qu’il faudrait deux gares routières, une à l’entrée Est et l’autre à l’entrée Ouest, desservies par un TCSP performant tel que le projet Baobab et des offres multimodales, service vélo, navettes pour le centre ville… On ne veut plus de Car Jaune qui traverse Saint-Denis. L’idée c’est que le réseau interurbain termine sa destination sur ces deux gares, puis le réseau Citalis prenne le relais pour desservir le territoire dionysien. 
  • C’est une volonté de la municipalité de Saint-Denis ou de la Cinor ?
  • Des deux. Quand on sait que les fonds de la Cinor sont abondés à hauteur de 77% par la ville de Saint-Denis, on veut bien jouer la solidarité, mais on voudrait aussi maîtriser l’organisation des déplacements sur notre territoire. En tout cas, nous à la Sodiparc, nous partageons cette stratégie. D’ailleurs notre slogan est clair « Au coeur de la mobilité », partagé avec l’ensemble des salariés de la Sodiparc. Nous sommes juridiquement une SEM (Société d’économie mixte), mais dans le quotidien, c’est une Société d’économie de métiers, les métiers de la mobilité. Tous dans leur corps de métier contribue à développer la mobilité sur le territoire de la Cinor.
  • Il y a deux ans la Sodiparc traversait une période difficile. Qu’en est-il aujourd’hui ?
  • Je ne suis qu’un maillon de la chaîne de la Sodiparc. Nous avons donné plus de souplesse au niveau du management. Il y a davantage de participation des 300 salariés dans les grandes orientations. Exemple Cityker by night, qui n’était pas dans le cahier des charges du marché d’exploitation de Citalis. Sauf que nous estimions que les clients PMR (personne à mobilité réduite) méritaient mieux en terme de service public. Nous avons donc pris sur nos fonds propres pour le mettre en place. Désormais ce public peut bénéficier d’un transport à la demande lorsqu’ils rendent visite à leurs proches. Ici, à la Sodiparc le mot d’ordre c’est de ne pas rester dans notre zone de confort, mais bien d’avancer de façon permanente. Grâce au Codir  (comité de direction) qui réuni régulièrement dirigeants et salariés, nous avons mis en place une culture d’entreprise qui innove afin d’améliorer notre offre de transport. Comme au rugby, je veux créer une mêlée à la Sodiparc pour pousser et avancer.
  • Quelle est votre position sur la gratuité des transports ?
  • La gratuité n’existe pas. Certes l’usager ne paie pas, la gratuité pour les jeunes coûte 1,5 M€ à la ville de Saint-Denis. C’est donc autant de moyens en moins pour la ville. La gratuité c’est un investissement. Ces jeunes qui prennent aujourd’hui le bus pour se déplacer, et bien nous espérons qu’une bonne partie continuera à le faire, parce qu’ils ont été habitués à prendre le bus. C’est comme cela qu’il faut interpréter la gratuité, une mise sur l’avenir. Ce sont plus de 22 000 jeunes dionysiens qui bénéficient de cette gratuité.
  • A l’initiative du SMTR, La Région étudie la mise en place d’un titre intéropérable journalier à 3€. Vous en pensez quoi ?
  • Alors que les Réunionnais assistent impuissants à une inflation des prix à la consommation, le SMTR propose une augmentation de 50% le prix du ticket de bus. C’est illogique et cela va à contresens du pouvoir d’achat des ménages. Quant à une éventuelle compensation, nous à la Sodiparc, nous avons toujours eu du mal à percevoir cette compensation liée à la Réuni’Pass. 
  • La gratuité sur Car Jaune vous inquiète ?
  • Le prix du titre de transport vendu directement à l’usager représente que 20% du coût du transport. Il est évident qu’il faudra compenser. Je regrette que le SMTR (Syndicat mixte des transports de La Réunion) a été pendant trop longtemps le théâtre d’une guerre entre personnes et que cette structure n’a pu oeuvrer sur le sujet de la gratuité dans les réseaux de transports. Naturellement nous, à la Sodiparc, nous sommes inquiets, comme les autres opérateurs de réseaux urbains, de l’impact de la gratuité sur Car Jaune. Citalis, c’est quand même 8 millions de km parcourus et 18 millions de voyages par an. 42 000 voyageurs par jour uniquement sur le TCSP, c’est la ligne la plus rentable de l’île. C’est notre vitrine.
  • Justement le TCSP de Saint-Denis est saturé…
  • Oui, effectivement. C’est pour cela que nous nous mobilisons avec les forces de l’ordre à vider les éléments intrusifs, les livraisons, les vélos, les trottinettes, les voitures, les motos qui n’ont pas lieu d’être sur cette voie réservée aux bus. Bien sûr que cela ne suffira pas. Nous travaillons avec la Cinor sur de nouveaux véhicules, type BHNS (Bus à haut niveau de service). Actuellement nous avons deux types de bus, les 18m en accordéon et des 12m. On souhaiterait passer à des 24m et remplacer les 12m par des 18m. Ce qui permettrait d’augmenter la capacité. Ceci fera l’objet de négociations lors du renouvellement de la DSP (Délégation de service public) prévu en 2024.

 

« Le prix de la location de vélos par les opérateurs de réseaux de bus est trop bas »

 

  • Qu’est-ce qui pourrait changer pour cette DSP ?
  • On s’interroge sur la pertinence d’inclure le téléphérique, qui est hors DSP, et les vélos dans la prochaine DSP. On a vu l’impact du Papang sur l’offre de Citalis. Les services vélo dans le Sud et l’Ouest rencontrent un franc succès, je pense que ce serait en effet pertinent de prendre en compte dans le prochain contrat de service public de Citalis ces données. On devrait plutôt parler non pas de mobilité mais des mobilités, car on peut se déplacer autrement qu’en voiture. 
  • Pour revenir aux prochains véhicules, ils seront électriques, hybrides, hydrogène ou encore retrofit qui perce actuellement dans l’hexagone ?
  • L’hydrogène coûte relativement cher, même si il y aura malgré tout quelques expériences ici et là. Nous devons nous inscrire dans la tradition énergétique, nous n’avons pas le choix. Mais encore faut-il changer la réglementation, en tout cas l’adapter à nos spécificités. Exemple, la réglementation prévoit une distance de 15m à toute habitation ou implantation pour le stationnement des véhicules hydrogènes. Sur le TCSP, ce devrait être facile, mais pas ailleurs. La question du choix des véhicules se fera naturellement pour le renouvellement de la DSP. Ce sera une question importante. 
  • La Cinor a commandé plus de 1000 vélos à assistance électrique, vous devriez en avoir la charge. A la Cinor, on pense que la tarification proposée actuellement par la Civis et le TCO est trop basse. Qu’en pensez-vous ? 
  • Je partage ce point de vue. On devrait réduire la durée de la location avec une tarification plus adaptée. L’objectif c’est quand même d’inciter le locataire du vélo d’investir dans son propre. Ainsi, il s’approprierait durablement l’usage du vélo pour ses déplacements.
  • La Sodiparc c’est aussi la gestion des parkings.
  • Effectivement on gère la mobilité mobile mais aussi la mobilité immobile. Nous avons actuellement 1525 places de parking répartis sur 5 sites à Saint-Denis. Nous avons également un projet de construction d’un autre site, au niveau de la rue de l’Est de 250 places et une ruche à vélo. Mais on fait face à des surcoûts exorbitants. On avait estimé à 5,6 M€ le coût des travaux mais il est passé à 8M€, soit 40% de plus. Pour l’instant, nous sommes au point mort. 
  • Comment la Sodiparc envisage de s’impliquer dans la transition énergétique ?
  • Nous travaillons actuellement avec un important solariste pour produire de l’énergie solaire en installant des panneaux photovoltaïque sur nos entrepôts. Nous deviendrons ainsi autonomes en énergie électrique et le reliquat d’électricité serait injecté dans le réseau EDF. Par ailleurs, nous avons réduit l’usage des climatiseurs dans nos bureaux et agences commerciales. Cette démarche a été bien comprise et acceptée par l’ensemble du personnel de la Sodiparc. 
  • Bientôt seront organisés par La Région les Etats généraux des mobilités, qu’attendez-vous de cette grande consultation ?
  • Comme tous les acteurs des transports publics, j’espère que ces Etats généraux des mobilités sera l’occasion de faire abstraction des considérations politiciennes, et que enfin nous ayons une vision globale des modes de déplacements à La Réunion. Pour cela il faudra prendre en compte les réalités du terrain, aussi bien celles de la population mais aussi celles des opérateurs de réseaux de transports de voyageurs. N’oublions pas la problématique des stationnements car il faut offrir également aux automobilistes suffisamment de parkings pour garer leur voiture, je pense particulièrement aux parkings relais aux entrées de ville. Que ces Etats généraux des mobilités permettent à La Réunion d’avoir un TCSP (transport en commun en site propre) digne de ce nom, cela peut être du ferroviaire ou équivalent. Nous devons tout faire pour que le transport public gagne en vitesse et donc du temps aux usagers. 

Propos recueillis par Lilian REILHAC 

 

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