" Le bus c'est un excellent baromètre de l'état du moment de la société réunionnaise "

Jordan MYRTAL, 30 ans, conducteur receveur sur le réseau Citalis

20 mars 2023
« Nous partageons tous le même espace dans le bus » "« Nous partageons tous le même espace dans le bus »"
Les chauffeurs qui le conduisaient, lorsqu'il était enfant des Camélias, sont aujourd'hui ses collègues. Des anciens pour qui Jordan Myrtal a un profond respect. C'est en accompagnant son père, le célèbre traileur Eddy Myrtal, sur les douloureux sentiers du Grand Raid, que le conducteur de Citalis s'est forgé un mental d'acier, indispensable pour faire face aux récurrentes agressions et incivilités dans les bus.

Jordan Myrtal découvre sa passion de conducteur de bus il y a un peu plus de quatre ans. Depuis un an, son rêve se réalise, il est désormais conducteur receveur sur le réseau Citalis. Souvent, on dit que le fils hérite de la passion du père. Ce ne fut pas le cas pour Jordan. Fils d’un père, Eddy Myrtal, mécanicien moto chez Yamaha, mais très connu des Réunionnais à travers le Grand Raid où Eddy côtoie les meilleurs de l’époque comme Cléo Libel ou encore Jacky Mura qui ont écrit les plus belles pages d’histoire de la Diagonale des Fous. « A l’époque, les traileurs couraient avec leur provision, leur bouteille d’eau dans un simple sac en plastique à la main. Ils étaient face à eux mêmes. Il n’y avait pas toute cette logistique, cette technologie d’aujourd’hui qui permettent d’avoir des chaussures hyper légères, des vêtements high tech, anti transpirants… » confie Jordan.

Originaire des Camélias, le jeune Myrtal termine ses études avec un CAP de peintre carrossier, avant, comme de nombreux Réunionnais, de rejoindre le RSMA pour y suivre une formation de plaquiste où la demande sur les chantiers est forte. « C’est pas que le métier de plaquiste ne me plaisait pas, mais j’avais du mal à rester sur place. J’ai vite compris que mon avenir professionnel passait par un métier mobile et surtout à l’extérieur, au contact des gens », explique t-il. 

 

« Il faut relâcher quotidiennement la pression »

 

Lors d’une longue période d’intérim au sein de l’imprimerie de la NID à Sainte-Clotilde, Jordan décide de passer son permis de transport de voyageurs au centre de formation Nassibou, pendant les heures de repas. « Au début, ce n’était pas évident de concilier mon travail à la NID et les heures de conduite. Mais j’étais tellement motivé que cela s’est finalement bien passé ». Comme pour l’ensemble des conducteurs de bus dans les réseaux de transports de voyageurs, Jordan Myrtal commence son expérience chez les sous-traitants de la Sodiparc, mandataire du réseau urbain Citalis. « J’ai donc travaillé chez les Moutoussamy et Mardé, avec les conditions de travail différentes de celles de la Sodiparc. Mais c’est un passage obligé pour progresser ». Au bout de deux ans, la Sodiparc lui propose une formation au sein de son équipe de conducteurs de bus. C’est ainsi qu’il découvre une véritable culture d’entreprise. « A la Sodiparc, c’est davantage professionnel. Tout est anticipé, il y a un véritable accompagnement professionnel des conducteurs qui sont écoutés. On prend en compte nos avis pour améliorer l’offre de transport. Un jour, la direction m’a demandé qu’est-ce qu’on pourrait faire pour le mieux être des conducteurs ? J’ai donc proposé qu’on puisse mettre en place une cellule de crise afin d’accompagner psychologiquement les conducteurs victimes d’agressions ou d’incivilités, afin qu’ils peuvent en parler. Il faut relâcher cette pression en parlant avec les autres ».

  

« Le manque de respect, c’est cela le plus difficile à vivre »

 

«Ce qu’il y a de bien quand vous êtes au volant d’un bus Citalis, c’est le contact humain et social. A regarder les comportements des gens, à les entendre, c’est un vrai baromètre du moment de l’état de la société réunionnaise . Ce qui va, ce qui ne va pas, leur désespoir mais aussi leur joie », explique le jeune conducteur receveur. Jordan Myrtal ne mâche pas ses mots face aux agressions et aux incivilités récurrentes dans les réseaux de transports, notamment sur Citalis. «Vous savez l’incivilité est à tout âge. Ils entrent dans le bus, réclament un ticket en déposant les sous en disant « ticket », sans un bonjour, comment ça va ? », souligne, dépité le jeune père de famille d’une petite fille de huit ans. « Les gens se défoulent sur les conducteurs parce que les bus sont en retard, les embouteillages ne facilitent pas les choses. Les usagers pensent alors injustement que le conducteur est responsable… » 

Les agressions sont plutôt verbaux. C’est plus difficilement vivable pour les anciens conducteurs, parce que selon Jordan Myrtal, ces jeunes qui les insultent ont le même âge que leurs enfants. "Ils ont éduqué leurs enfants dans le respect, et n’acceptent pas d’être traités ainsi. C’est normal. Résultat, il y a de l’accumulation. Il est plus facile pour des jeunes conducteurs comme moi de faire face à ces situations récurrentes que mes collègues plus âgés. ».

 

« Nous partageons tous le même espace dans le bus »

 

Pour le conducteur Citalis c’est l’affluence dans les transports qui « à mon avis rend parfois les gens agressifs ». Certains vivent mal le fait d’être agglutinés les uns sur les autres. « C’est très délicat d’évoquer ce problème, mais il y a comme un choc de culture entre une certaine communauté venue d’ailleurs. Souvent je me fait agressé parce que je n’ouvre pas la porte arrière pour les faire entrer, on me traite alors de « raciste  alors que l’information de l’interdiction d’entrer par l’arrière du bus est bien visible sur les portes du bus. Mon secret : rester positif à toute situation et surtout ne pas répondre à la provocation ».  

 

Cette force de résilience, Jordan reconnaît , il le doit à ses parents qui lui ont inculpé les valeurs de respect. Mais c’est surtout en accompagnant son père pendant le Grand Raid que l’esprit trail l’a pour ainsi envouté. A savoir l’égalité dans la galère. « Sur la ligne de départ et dans la course de la Diagonale des Fous, on est tous égaux. Dans le bus c’est pareil, lorsqu’on entre dans le bus, les différentes classes sociales n’existent plus. Qu’on soit chômeur, étudiant, travailleur ou retraité, nous partageons tous le même espace dans le bus. C’est comme cela que je vois le transport. en commun ». 

 

Lilian REILHAC

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