« Nous sommes sérieusement menacés par les voitures électriques ! »

Lors d’un entretien accordé à Mobil’Idées, Gérard Lebon ne mâche pas ses mots pour exprimer l’inquiétude des gérants des stations-services de l’île, face à la progression des ventes de véhicules électriques. La profession se prépare à une mutation qui semble inévitable d’ici 2035.

Comment se porte le secteur des stations-services ?
Il y a environ 160 stations-services à La Réunion. Un tiers sont la propriété de chefs d’entreprise et deux tiers la propriété des compagnies pétrolières, et sont en gérance sur des contrats qui varient de 3 à 6 ans. Sachant que ENGEN est le pétrolier qui possèdent le plus de stations, 50% de son parc est détenu par des propriétaires. Nous avons l’obligation, selon le Décret Lurel de 2014, de transmettre à l’Etat les chiffres que nous réalisons qui sont ensuite transférer à l’OPMR (l’Observatoire des prix, des marges et des revenus). Les stations-services n’étant pas pourvus de comptabilité analytique, nous avons l’obligation auprès des pouvoirs publics de faire remonter scrupuleusement la quote-part de notre activité dite « administrée », à savoir vente de carburants et les charges qui sont afférentes à cette activité. A la lecture de ces informations comptables, on constate que les stations-services sont déficitaires sur le commerce des carburants. L’équilibre économique est assuré par la boutique. L’activité carburant, avec 12 centimes de marge par litre est déficitaire. A l’exception des grosses stations, où leur situation est plus réjouissante.

Quel est le seuil de rentabilité de la vente de carburant ?
C’est difficile à dire. Ce que nous on note c’est qu’une station moyenne qui fonctionne à l’équilibre il faut être à plus de 250 M3 par mois. Mais du fait que nous sommes dans une activité administrée et que les prix des carburants sont réglementés, la concurrence se joue sur les emplacements, les services qu’on apporte, les protocoles marketing en termes de fidélité offerts par les pétroliers. C’est ainsi que le système administré permet à Cilaos et Salazie d’avoir une station-service. Si nous n’étions pas dans ce système insulaire, beaucoup de stations n’existeraient pas, il y en aurait que sur le littoral. Donc des emplois en moins et une concentration de véhicules sur le littoral déjà bien encombré. Tous les Outre-mer sont gérés ainsi. Et c’est tant mieux ! Nous à La Réunion, nous avons un seul importateur, la SRPP. L’idée d’avoir d’autres importateurs entrainerait automatiquement de la concurrence sur ce marché de distribution de carburants, et il est fort à parier que le plus puissant imposerait un certain monopole. Il n’y aurait aucun sens économique d’avoir plusieurs importateurs sur l’île.

« Le covoiturage c’est pour faire des économies »

• Pourtant, certains en avait rêvé à une certaine époque ?
Oui bien sûr on peut rêver. Mais la question est de savoir : est-ce qu’on veut une concurrence comme celle de l’hexagone, avec la disparition des emplois liés aux stations-services ? Avec un seul opérateur dans la zone de stockage, nous ouvrons la porte à un monopole certain. La décision de l’Etat de dire qu’on maintien le système actuel permet de préserver le pouvoir d’achat des Réunionnais. Nous, nous sommes sur un prix maximal, mais aucun gérant n’entre dans une guerre de prix qui condamnerait le système actuel.

• Combien d’emplois en moyenne sur les stations-services ?
On comptabilise environ onze emplois par station

• Avec une moyenne de 4000 personnes qui pratiquent le covoiturage, cela fait moins de voiture sur les routes et donc moins de consommation de carburant ?
Je vais vous surprendre, le covoiturage est une bonne idée et c’est un révélateur de plusieurs constats. D’abord, que les gens ont de moins en moins la capacité financière de voyager seul(e), car cela coûte cher. Ensuite ce sentiment de liberté : je suis libre, seul(e) dans ma voiture, je bouge quand je veux et où je veux, est finalement en train de disparaître. Aujourd’hui il y a une concomitance de cette perte de valeur de liberté et le fait qu’on fait des économies en partageant sa voiture avec d’autres. C’est un choix de société qui est en train de s’opérer.

• Vous êtes inquiet de l’arrivée des véhicules électriques ?
Vous savez, nous gérants de stations-services, nous ne sommes pas à notre première mutation. Il y a quelques décennies, nous avons commencé à vendre que du carburant. Il y avait alors des petites boutiques ici et là qui avaient deux pompes devant leur commerce et on servait le carburant comme cela. Et puis nous avons suivi le développement de l’île en offrant des prestations de mécanique, puis de lavage. Ensuite nous avons continué la mutation en ouvrant des boutiques. On a perdu la mécanique et le lavage qui ont été repris par des entreprises organisées pour cela, telles que Midas, Vulco. Eux ils nous ont pris le marché. Vous n’avez pas entendu les gérants de stations se plaindre. C’est la voie normale du marché et de l’évolution économique. On s’est donc concentrés sur nos boutiques avec, au début, de l’emporté avec notamment la sandwicherie. Aujourd’hui, nous sommes presque arrivés à ce que la station est devenue un restaurant. Donc les mutations, on les connaît.

« Forcément à un moment ou un autre, notre activité va disparaître »

• Cette mutation due à la transition énergétique est sans doute plus profonde ?
Oui, certainement ! Nous sommes sur une logique du verdissement des voitures thermiques par des motorisations électriques. Encore faut-il qu’on décarbone également les stations-services, mais ça n’est pas gagné. Aujourd’hui, de plus en plus de stations proposent à la fois de vendre du carburant fossile et des bornes de recharges électriques. Maintenant, est-ce que l’électrique est une menace pour nous ? Fondamentalement oui. L’Europe et une partie du monde accélèrent la décarbonation des moyens de transport, notamment terrestre. Forcément, à un moment ou un autre notre activité va mourir. Surtout qu’une date a été fixée, celle de 2035, où les véhicules thermiques ne seront plus commercialisés. Nous avons donc dix ans pour nous préparer à la disparition des stations-services et des emplois afférents. Pour l’heure, beaucoup de Réunionnais continuent à faire le choix du moteur thermique parce qu’ils ne sont pas disposés à attendre 20, 30 minutes à recharger sa voiture, alors qu’une voiture thermique cela se fait en moins de cinq minutes. Le drame de la voiture électrique, c’est qu’elle nous oblige à recharger les batteries tous les jours. Imaginez que tout le monde branche sa voiture en même temps, tous les soirs, le réseau EDF ne tiendra pas. Tout le monde le sait ! Pour l’instant, la voiture électrique est une contrainte de vie de tous les jours. Maintenant, on ne va pas se voiler la face. Nous gérants de stations de distribution de carburants, nous sommes conscients que notre modèle est sur la sellette et qu’il va, à un moment ou un autre, disparaître. Mais après 2035 il y aura encore des voitures thermiques qui continueront à rouler, sauf si le gouvernement décide à ce moment-là d’interdire les voitures thermiques.

« L’opération marketing de Total Énergie »

• Total Énergie semble ouvrir la voie de cette mutation en inaugurant récemment leur première station de bornes de recharges 100% électrique à Sainte-Suzanne ?
Personnellement, je pense que Total Énergie fait une opération marketing. Ce pétrolier veut démontrer qu’il est plus blanc que blanc, qu’il est dans le développement de nouvelles énergies propres. Tout cela pour nous faire oublier que les milliards de bénéfices qu’il réalise ce sont sur le pétrole, sûrement pas sur le photovoltaïque ou les éoliennes. Quant au concept de « l’électropompiste », désolé de le dire ainsi, mais c’est une vessie. Il faut bien rémunérer le pompiste, et ce n’est sûrement pas sur le coût de vente de l’électricité pour recharger la voiture qu’on pourra rémunérer l’électropompiste. C’est faux ! Sur ce que l’on doit davantage se préoccuper, c’est comment faire pour que cette mutation se fasse en douceur ? Sincèrement, cela se fera sur une génération.

• Les conséquences risquent d’être fatidiques pour les stations-services ?
C’est sûr. Tout un pan de l’économie s’effondrera. Mais vous savez, en France nous sommes les spécialistes pour se planter un clou dans le pied. A l’échéance de 2035, les locataires gérants comme moi on cessera toute activité et les emplois seront récupérés par le pétrolier. Ce sont plutôt les propriétaires de stations-services qui seront les plus grands perdants, parce que ce sont leur patrimoine. Oui nous sommes menacés, oui la menace se précise, mais nous sommes sereins ! Je pense que dans 20 ans, il y aura certainement beaucoup moins de stations-services, comme il y aura encore des voitures thermiques sur les routes. Je pense qu’il faut arrêter d’opposer la voiture thermique à la voiture électrique. Que les deux vivent leur vie.

Gérard Lebon, Président du Syndicat des exploitants de stations-services de La Réunion.

Propos recueillis par Lilian REILHAC
Photos : Pierre MARCHAL

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